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MIGUÈLE CLÉMESSY, PEINTRE.
15 octobre 2010

Petits textes et autres pensées

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Je peins toujours au ras des choses

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Je peins toujours au ras des choses les plus ordinaires, je m'empare du côté purement banal du quotidien, je le mets dans la moulinette de ma sublimation et le rends supportable.

La peinture n'est pas faite pour distraire.

La peinture n'est pas faite pour décorer.

La peinture est faite pour rendre le sensuel visible.

La peinture est faite pour questionner.

Ne vous attendez pas à ressentir quoi que ce soit devant une toile, sans mettre dans votre regard, de la ferveur, du recueillement.

Si la peinture contient les parfums les plus subtils, il ne faut pas oublier qu'elle trempe aussi dans l'eau de la lessive ; quand le peintre peint, quand le poète écrit, quand le musicien compose, ils sont nobles et gueux à la fois.

L'artiste contient les larmes et les rires à parts égales.

L'artiste marche sur le fil, il n'est autre qu'un funambule, dans le danger inéluctable et permanent de tomber à droite, ou bien à gauche, mais devant vous il se tient debout, toujours debout et, pour  vous, il danse.

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Peinture, témoin de la métamorphose

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La peinture se préoccupe de la métamorphose. La métamorphose des choses à l'intérieur d'elles-mêmes, des choses à l'intérieur du monde, des saisons à l'intérieur de l'année, des années à l'intérieur du siècle... C'est ainsi que l'artiste parle toujours de la même histoire, du début jusqu'à la fin de son oeuvre constituée de strates, donnant la trace des grandes métamorphoses générales, sans cesse recommencées, de la vie qui coure. Des corbeaux volent dans le ciel de Van Gogh et, peu à peu, la forme diffère, on ne trouve plus d'oiseaux dans l'espace de Rothko, mais les deux hommes, dont le coeur bât à l'identique, séparés par un siècle, disent néanmoins toujours en encore la même chose.

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Au bord de la peinture

La poésie en temps que coup d'envoi

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- I -

A l'intérieur de soi on est enchaîné à des bouleversements qui entraînent à infiniment raconter la toujours même nominale histoire.
Hors de
soi on est délié d'un tout perdu où crie la terreur cherchant à retrouver la toujours même nominale histoire,- à raconter.
Alors, venir et se tenir simplement ni en dedans ni en dehors de soi-même, à la lisière donc, et seulement celle qui permet le va et vient de la réversibilité.
Au bord de soi-même, on ne raconte plus, on dit.
La poésie est telle, ne tient pas debout, n'a ni jambes, ni cerveau, n'est pas dans le monde, à l'extérieur non plus, on la respire aux bords des deux.
La poésie n'est pas dans la littérature, dans la musique, dans la peinture - la poésie, de par son hors place, est le coup d'envoi.

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- II -

Peindre? Écrire? C'est facile, s'il s'agit de mettre noir sur blanc. Il suffit alors de capter un événement à raconter, et la vie, comme l'imaginaire, en proposent à l'infini.
Mais! S'il s'agit de "conduire" la peinture ou l'écriture, c'est autre chose, c'est un autre lieu, un autre ordre - il y est question de se laisser couler en la matière elle-même du marteau, afin que longtemps après avoir frappé la cloche, la résonance demeure.
Ici, la poésie ne se pose pas plus qu'ailleurs, elle engage sa bénédiction à la proue du son, au point précis de la rencontre du marteau avec la cloche.
La poésie est le coup d'envol.

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- III -

Le poète porte le nom de la baisure*, littéralement : celui qui unit, qui bénit, qui gonfle le drapeau, celui qui met en route, qui tient debout, assis, couché, qui désigne l'amour, l'affirme, le prouve et puis le certifie, le signe et persiste et puis le garde au feu.
Le poète est l'enfant de la poésie, le coup d'envoi et la raison de l'envol, littéralement: le va qui vient et vice versa.

*baisure: endroit où un pain en a touché un autre dans le four.

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CE SILENCE LA

(fait partie de la série des textes peints)

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Ici, tous les animaux vivaient avec les hommes, avant ce silence là, dans cette ferme construite pierre après pierre. Aujourd'hui ne viennent plus que des animaux inapprivoisés et le foin du grenier ne sert plus qu'aux loirs.

Dans cette maison il y a la solitude du corps quand le corps ne sait plus où est son âme, avec les doigts tachés de fruits sauvages, des doigts qui font des signes à un bonheur tout piqueté. Comment être le hibou, le rat qui gratte, comment être l'arbre? Les doigts tachés de fruits sauvages font des signes au bonheur qui passe pour qu'ensemble ils signent des croix ; les croix, des X, cousent au point de croix l'âme au corps - et l'âme et le corps se battent enlacés.

Autour de cette maison, la forêt et ses oiseaux qui nidifient partout, les oiseaux qui vivent et puis disparaissent dans les premiers gels, les ours, les loups, les ogres, les anciens hommes déchirés recouverts de terre froide, et les femmes griffées sans cheveux blonds ni vermeil, lovées aux hommes pris dans les racines. Humus sombre, humus où par dessus repoussent les fleurs bleues jaunes et rousses, quand au matin le soleil revient. Au dessus de la maison mon aigle vole, le Magnifique, et chante. Il voit tout de son oeil d'aigle, tout, la terre, les buttes, les monts, il voit briller l'eau dont j'entends le bruit, il voit la bruyère à l'endroit où les souches sortent de terre, le Magnifique m'emporte et me confirme qu'entre la mousse des pierres et le bleu du haut ciel, je suis retenue par la force tenace de la solitude qui me fait danser. Je danse dans les arbres, dans les fleurs, dans le granit, je me lance dans cette joie qui m'embellit, et puis je pleure. Je pleure et je danse. Magnifique dans le ciel fait une courbe, je la grave en moi pendant qu'en dessous, la roche répond de son arrondi.

Je peins dans les fleurs, dans les arbres, dans le granit, je peins dans les pierres vivantes des maisons soulevées par les racines - chaque ruine me rend orpheline et je recèle des fumées et des sonorités antiques qui percent des trous. Cri! Et tout à coup plus rien.

Je cours à la maison, pour le feu, pour l'âtre, mais collés aux murs, le cri et le silence qui lui répond me fixent. C'est ça que je peins, ce cri que j'apprivoise, ce cri faufilé partout qui fait le tour du monde. Ô doux fil conducteur qui relie tout à tout : la peinture! De la montée du jour à sa descente, doux fil qui lave et souille tour à tour, et conduit jusqu'à ma porte les animaux de la forêt, pendant que je dors, que je travaille, que je mange, pendant que je m'efforce de donner  matière à la grâce du monde, ô tendresse de la peinture religieuse, sacerdotale, qui sanctifie ce tout à tout!

Je me courbe de respect devant le rouge de cadmium, le rouge écarlate, le rouge magenta, le vert Véronèse, le bleu de cobalt, le bleu d'orient, devant le vert intenso aussi, ou le jaune azo, le foncé comme le clair, et celui de Naples, ainsi que devant le bleu de Prusse, la terre de Pouzzoles et celle d'ombre brûlée. Je m'incline devant les oranges, les pourpres et les ocres, et puis devant les outremers, tous les blancs, tous les noirs et aussi les mélanges qu'entre eux ils font. Je suis en émoi devant les signes, gestes des choses, des choses choses et des choses humaines.

Parfois, quand le chat huant hurle trop près du toit, que j'ai froid, que j'ai peur, quand il y a trop de nuit, j'ai envie de rentrer dans la ville, dans la lumière, dans les maisons chaudes et pleines qui s'appuient doucement les unes contre les autres, mais je reste dans la forêt, dans la blessure qu'elle me fait, je suis l'artiste à la tâche et ne peux me séparer de l'ange qui me guide.

frisemaisons


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